Interchangeabilité de méthodes
de Conception
dans le cadre de la Conception intégrée
Carmen Martin*, **, Jean-Claude
Bocquet*, Djeapragache**
*Ecole Centrale Paris, Laboratoire Productique Logistique,
Grande Voie des Vignes 92290 Châtenay-Malabry.
**Adepa Agence de la Productique, 17, rue Perier 92120 Montrouge.
Résumé
Aujourd’hui, il existe une multitude d’outils
et de méthodes d’aide à la conception. En revanche,
les liens permettant de passer d’une méthode à une
autre sont mal définis et le concepteur ne dispose pas à
l’heure actuelle d’une vision globale de la disposition de ces
méthodes dans la chronologie du développement. Un travail
de mise en évidence des relations entre les méthodes permettrait
donc d’améliorer le processus de conception. Le but de cet
article est double : d’un côté, prouver que l’avantage
de l’emploi de méthodes augmente quand nous pouvons établir
des liens entre elles, et d’un autre côté, montrer quelques-uns
uns de ces possibles liens entre méthodes.
1. Introduction
Le besoin de compétitivité
impose aujourd’hui plus que jamais de concevoir plus rapidement, mieux
et moins cher que les concurrents pour pénétrer un marché
de plus en plus dense et complexe. Une des réponses à cette
nécessité est l’utilisation de nouveaux outils récemment
développés ou en cours de développement destinés
à supporter le processus de création d’un produit.
La richesse et l’efficacité
des recherches en productique ont permis de mettre au point un grand nombre
d’outils utiles au concepteur pour appréhender les différentes
phases de son projet. La question n’est donc plus maintenant de savoir
si les outils existent mais concerne plutôt la bonne utilisation
de ceux-ci. Dans ce cadre, d’autres interrogations apparaissent : les
outils de conception s’inscrivent-ils dans des îlots isolés
ou au contraire existe-t-il des liens logiques permettant de les enchaîner
? Cet enchaînement, s’il s’avère possible, peut-il être
généralisé et optimisé en gardant une cohérence
d’ensemble du processus de conception ?
L’intérêt de ce papier n’est pas
de montrer que dans le cadre d’une conception intégrée
beaucoup d’outils indépendants et autonomes peuvent être
utilisés mais au contraire de prouver qu’une interconnexion entre
ces outils peut être trouvée dès les premières
phases de la création du produit permettant ainsi de réduire
les temps de conception. Nous cherchons également à démontrer
l’utilité de cette recherche de continuité pour éviter
des répétitions de tâches coûteuses en temps
provoquées par une dissociation complète des outils et des
résultats que ceux-ci sont susceptibles de fournir. L’intérêt
de ce travail est clair, il réside dans le développement
d’une plate-forme multi-outils dont le but est la minimisation des temps
de conception par une exploitation plus judicieuse des données
provenant des outils à la disposition des concepteurs.
2. Le projet PIRAMID
Le travail, ici présenté,
fait partie d’un projet intitulé PIRAMID
(Platform for Information Re-use Among Methodological tools In the
product Development), qui a été lancé dans le cadre
d’un programme européen Eurêka soutenu en France par le Ministère
de l’Industrie.
Comme nous pouvons lire en Djeapragache
[4] ce projet a comme objectif d’offrir une meilleure organisation
du processus de conception par la réalisation d’une plate-forme
devant servir de base commune à tout projet en période de
gestation. La multiplicité des outils développés
au cours de ces dernières années et de leurs objectifs distants
rendent le travail du concepteur difficile pour sélectionner les
supports méthodologiques nécessaires à l’optimisation
de son projet sur le plan organisationnel comme sur le plan du produit
qu’il développe.
Notre travail est une contribution
à ce projet car l’intégration proposée resterait
incomplète, sans l’interoperativité des différents
outils. Parmi la multitude d’outils disponibles sur le marché
actuel, nous avons voulu centrer notre intérêt sur ceux pouvant
s’intégrer dans une représentation du processus de conception
comme un macro processus autorisant un enchaînement logique entre
l’identification des fonctions de l’objet de la conception (Méthode
AF), la recherche de solutions techniques permettant de les satisfaire
(Méthode du QFD) et la mise en évidence des risques sous-jacents
(Méthode AMDEC). Vous pourrez trouver une justification du choix
de ces trois méthodes dans Martin [6]
La sélection, dans un premier
temps, de ces trois méthodes est important pour la réalisation
d’un cahier de charges fonctionnel produit, parce que, les personnes
concernées sont celles impliquées dans les démarches
qualité telles que l’Analyse de la Valeur, le QFD, l’ANAQ
(Analyse de Qualité) et l’AMDEC.
Nous proposons dans ce papier une description de chacune
des méthodes énoncées précédemment,
ainsi que quelque uns des possibles liens entre ces méthodes.
3. Présentation des méthodes : AF,
QFD, AMDEC
Comme nous venons de dire, les
méthodes de conception que nous allons commenter et celles considérées
comme représentatives dans un premier temps dans le projet PIRAMID
sont : l’Analyse Fonctionnelle, le QFD, et l’AMDEC. Cette liste n’est
pas exhaustive et l’on pourrait également s’attacher
à la description d’autres méthodes également
largement utilisées comme l’analyse de la valeur, la conception
à coût objectif ou les approches qualité TQM, TQC.
Mais le but visé n’est pas ici l’exhaustivité
mais le principe d’action que nous cherchons à mettre en évidence.
3.1 L’Analyse Fonctionnelle
L’analyse fonctionnelle, d’après
la Norme AFNOR X50-150, est une démarche qui consiste à
recenser, caractériser, ordonner, hiérarchiser et valoriser
les fonctions.
L’Analyse Fonctionnelle est
une démarche qui s’inscrit parfaitement dans une stratégie
de Qualité Totale, parce qu’elle implique tous les secteurs
de l ‘entreprise, qu’ils soient fonctionnels ou opérationnels,
et parce qu’elle se propose d’expliciter la satisfaction du
besoin des clients, en nous permettant, dans un premier temps d’identifier
précisément en termes de fonctions, les besoins à
satisfaire ou de services à rendre (analyse fonctionnelle du besoin),
et dans un deuxième temps d’analyser de quelle manière
une solution répond à ces besoins (analyse fonctionnelle
technique).
Néanmoins, il ne faut pas
oublier que connaître les besoins de nos clients et la façon
dont nos produits y répondent ne suffisent cependant pas à
améliorer le niveau de performances de nos produits ni à
augmenter le niveau de satisfaction. L’analyse fonctionnelle ne constitue
donc pas une fin en soi.
Dans une action de Qualité
Totale, l’analyse fonctionnelle du besoin agit principalement sur
la relation client-fournisseur en définissant les besoins et les
exigences à satisfaire.
Néanmoins, le champ d’application
de l’analyse Fonctionnelle est très vaste. Elle s’applique
aussi bien à : des produits industriels, des processus industriels,
des processus immatériels (services), des processus d’organisation,
procédures, administratives, des produits existants ou des produits
nouveaux, etc.
Cette méthode permet de
parvenir à une optimisation du produit permettant de satisfaire
au mieux les contraintes d’utilisation. La méthode considère
le système d’un point de vue de sa finalité et prend en
compte tous les facteurs concernant le système et son environnement.
Les principes de la méthode,
comme nous pouvons lire en Cloarec [2] et Puttaert [7] sont la matérialisation
du produit et la mise en évidence de ses composants fonctionnels.
Son application se déroule en plusieurs étapes
:
- expression et description du besoin
- définition des fonctions attendues, c’est-à-dire
:
- recensement des éléments du milieu d’utilisation
(MU)
- identification des relations crée par le produit,
entre plusieurs MU ou bien, entre certains MU
- expression de la finalité de ces relations par
une phase contenant : le ou les MU concernés par la relation,
ou bien, par un verbe caractérisant l’action
- Etablissement des blocs-diagrammes fonctionnels.
- L’expression du besoin se traduit dans le vocabulaire
du produit par la notion de fonction. Trois types de fonctions sont
utilisés par la méthode : les fonctions principales, les
fonctions contraintes, les fonctions de conception.
La phase de caractérisation
du besoin et du contexte d’utilisation du produit est primordiale
puisqu’elle conditionne la mise en place de ses fonctions. L’analyse fonctionnelle
sera ensuite d’autant plus simple que le besoin identifié aura
été clairement exprimé. Le choix de l’architecture
finale sera déduit par optimisation du degré de satisfaction
global de l’ensemble des fonctions du produit.
Pour finir la brève description
de la méthode, nous voulons souligner la différence entre
l’analyse fonctionnelle du besoin et l’analyse fonctionnelle
technique. La première explicite les relations entre le produit
et son environnement, alors que la deuxième se propose d’étudier
les relations internes des composants produit et leurs relations avec
les éléments du milieu extérieur.
3.2 La méthode QFD (Quality
Function Deployment)
La méthode QFD (Quality
Function Deployment) permet de cibler les justes paramètres nécessaires
pour satisfaire le client, travailler sur la qualité perçue
et découvrir tôt dans le cycle de déroulement du projet
les points sensibles pour lesquels des mesures préventives pourront
et vraisemblablement devront être prises.
D’après les travaux de Bocquet [1] et
Chuen [3], cette méthode permet de répondre à trois
questions :
- quelles sont les attentes clients à considérer
en priorité pour assurer la réussite commerciale du produit
?
- quelles sont les réponses techniques à
privilégier ?
- quelles sont les difficultés potentielles
du cycle de développement de produit ? .
La réponse à ces
questions est apportée par une équipe projet formée
de personnes complémentaires réunies autour de la problématique
à solutionner.
Comme son nom l’indique la
méthode s’appuie sur un déploiement de matrices. Le
QFD sera mené surtout en phase amont d’un nouveau projet, à
un stade où le large éventail de choix est encore possible.
La démarche consiste à traduire la voix du client dans le
langage des ingénieurs de développement. Les principaux
éléments à prendre en compte dans ce cadre sont alors
: les critères de valeur du produit, les enquêtes marketing,
les matrices relationnelles et la sélection des paramètres
critiques.
Le QFD est aussi un principe qui
place la satisfaction du client comme un objectif premier de l’entreprise,
mais aussi une démarche qui associe tous les services de l’entreprise,
en mettant en place une méthodologie permettant de traduire fidèlement
et de façon concertée, les attentes du client en spécifications
techniques et en actions sur toutes les phases du profil de vie d’un
produit, de sa conception au soutien après la vente.
Parce qu’il contribue à
la satisfaction des clients en partant de leurs attentes, et qu’il
associe tous les services de l’entreprise, le QFD s’inscrit
pleinement dans une démarche globale de réduction des coûts
et délais propres à une action Qualité Totale.
Quant aux principes de mise en
œuvre du QFD, nous dirons qu’il consiste à élaborer
puis à déployer dans toute l’entreprise des matrices
QUOI-COMMENT qui permettent à la fois : de définir les spécifications
d’un produit (les COMMENT) à partir des attentes de ses clients
(les QUOI), de comparer le produit avec ses produits concurrents et, enfin,
de faire apparaître nécessairement par la constitution de
groupes de travail réunissant des experts des différents
métiers de l’entreprise, et par l’implication volontaire
de tous les secteurs de l’entreprise.
3.3 L’AMDEC (FMEA)
L’AMDEC utilise les caractéristiques
d’un produit permettant d’instaurer un dialogue entre plusieurs entités
de l’entreprise comme le bureau d’études, les services de design,
les personnels chargés de la réalisation, de l’industrialisation,
de la commercialisation, de la maintenance, du service après-vente,...
en prenant en compte plus précisément le triptyque produit
procédé processus. De nombreux auteurs ont écrit
sur cette méthode et nous soulignons les travaux de Cloarec [2]
qui nous montre que l’analyse des modes de défaillance de leurs
effets et de leur criticité (AMDEC) doit donc permettre au groupe
d’anticiper d’éventuels aléas. Cette réflexion conduira
naturellement aux solutions techniques ou organisationnelles destinées
à faire disparaître ou tolérer les modes de dysfonctionnement
potentiels.
L’AMDEC constitue donc un système
extrêmement puissant d’aide à la conception des systèmes.
L’AMDEC permet de déterminer les points faibles d’un système
et d’y apporter des remèdes, de préciser les moyens de se
prémunir contre certaines défaillances, de faire dialoguer
les personnes concernées par un projet, mieux connaître le
système, et principalement d’étudier les conséquences
de défaillance vis-à-vis des composantes majeures de la
sûreté de fonctionnement : fiabilité, disponibilité,
sécurité, maintenabilité,...
Les AMDEC doivent être remises
à jour périodiquement. Leur contrôle systématique
doit avoir pour buts :
- De s’assurer qu’elles ont été
rédigées dans un esprit participatif et non pas pour satisfaire
les visées d’un petit groupe de personnes
- De garantir que les informations transitent entre les
différents niveaux
- D’analyser les raisons pour lesquelles une action
qui a été recommandée n’est pas prise en compte
4.
Interoperativité de ces trois méthodes : relations AF -
QFD - AMDEC
Les trois méthodes que nous
venons de présenter ne sont utiles que si elles sont intégrées, et au besoin adapté, à des démarches plus globales,
préventives ou curatives, de conception ou d’analyse des problèmes
de qualité.
Ces trois points de vue, nous mènent
sur trois méthodes de conception que l’on pourrait appeler
complémentaires, parce que si bien les objectifs sont très
différents, nous pouvons les appliquer avec un intérêt
commun, qui est celui d’améliorer la conception en diminuant
délais entre l’idée d’un produit et sa réalisation
physique.
4.1 Relation AF / QFD
Les attentes objectives et subjectives des clients (les
QUOI), point de départ du QFD, sont documentées par des
enquêtes menées auprès de la clientèle. Les
parties qualitatives des critères de valeur extraites du cahier
des charges fonctionnel peuvent éventuellement venir compléter
la liste de ces attentes.
L’analyse fonctionnelle technique quant à
elle peut être utilisée pour structurer et organiser le découpage
du produit en un ensemble de fonctions non caractérisées
(les COMMENT).
AF - QFD
L’analyse fonctionnelle apporte la liste de besoins client qui compose
la première matrice de la première phase du déploiement
du QFD. Dans cette phase, le QFD montre la relation entre les besoins
attendus par le client et les différentes solutions techniques
que l’entreprise est susceptible de mettre en place pour la satisfaction
du besoin. L’idée serait d’établir un lien de
façon à pendre dans les QUOI (représentation des
besoins clients) le résultat d’une Analyse Fonctionnelle besoin,
et de profiter de l’Analyse Fonctionnelle technique, pour le choix
des solutions techniques élémentaires qui font partie de
la matrice des COMMENT.
QFD - AF
En principe ce n’est pas très logique de faire un QFD sans
avoir effectué déjà une analyse fonctionnelle pour
définir les besoins client, surtout quand il s’agit de la
conception d’un nouveau produit.
Néanmoins, la relation dans
cette direction peut avoir un peu plus de sens, dans le cas de l’étude
de la reconception d’un produit déjà existant.
Dans ce cas, nous allons étudier
les fonctionnalités des produits concurrents, et peut être,
nous allons découvrir des fonctions existantes dans ces produits,
et qui ne sont pas satisfaites par le nôtre, et on pourrait étudier
la possibilité de les rajouter.
4.2 Relation AF / AMDEC
AF - AMDEC
L’AMDEC est utilisé en phase de conception pour vérifier
un système nouveau ou modifié, dont on connaît mal
le comportement. L’analyse vise à recenser les défaillances
d’un système dans un double but : améliorer la conception
et valider une solution technique par rapport à un cahier des charges.
Pratiquement l’AMDEC se réalise
dans les phases d’utilisation ou de fonctionnement du système
; Alors, il est nécessaire de bien connaître les fonctions
du système, pour en analyser ensuite les risques de dysfonctionnement.
L’Analyse Fonctionnelle du
besoin et l’Analyse fonctionnelle Technique constituent un préalable
indispensable à l’AMDEC.
AMDEC - AF
L’expression des besoins clients est traduite en paramètres
exploitables par le concepteur : c’est le Cahier de charges Fonctionnel
Produit (CdCF Produit) contenant les fonctions de service et les critères
de valeur associés. Cette transformation des données d’entrée
est réalisée à l’aide de l’Analyse Fonctionnelle
du besoin, qui garantit l’adéquation entre le cahier des Charges
Fonctionnel Produit et les attentes client.
L’analyse Fonctionnelle du
besoin intègre les " contraintes industrielles générales
" ;
A partir de CdCF Produit, le concepteur
établit une ou plusieurs solutions techniques. La vérification
de l’adéquation de la ou de solution (s) technique(s) au CdCF
Produit, est réalisé à l’aide de l’AMDEC
Produit Projet, qui nécessite au préalable une Analyse Fonctionnelle
technique du produit.
4.3 Relation QFD / AMDEC
La relation entre le QFD et l’AMDEC passe par la
relation existante entre chacune de ces méthodes et l’analyse
fonctionnelle, comme nous l’avons montré précédemment
.
5. Conclusion
Nous pouvons affirmer qu’aujourd’hui,
aucune méthode n’est réellement complète pour
couvrir les différentes phases, depuis l’analyse des besoins jusqu’à
la fabrication du produit . C’est pour cette raison que, l’idée
d’une approche intégrée, associée à la mise
en place de procédures adaptées de conception et d’industrialisation
de produits pour profiter des savoir-faire de l’entreprise, est l’élément
innovateur du projet PIRAMID.
Nous avons montré l’importance
des relations entre les différentes méthodes pour aboutir
à une solution plus complète. La suite de nos travaux élargira
ces relations.
parution 1999
|