Comment optimiser le processus d’innovation dans la "phase de foisonnement" qui caractérise les premiers pas du projet de développement d’un nouveau produit ? Pour Gilles Toulemonde, co-fondateur avec David Carteret, de la "jeune pousse" lyonnaise i-nova, la réponse à cette question ne réside pas dans les approches traditionnelles. Ce jeune ingénieur, diplômé de l’Ecole des Mines de Paris, qui a participé aux travaux du Centre de Gestion Scientifique de l’école et à plusieurs projets d’innovation, plaide en effet pour la mise en place d’outils spécifiques de gestion de l’innovation…
Quelle entreprise peut aujourd’hui prétendre ne pas être concernée pas les problématiques d’innovation ? Aucune équipe dirigeante ne peut se permettre d’ignorer la nécessité vitale de l’innovation pour son entreprise, des start-up de l’Internet aux grands de l’automobile en passant par l’aérospatiale, les industriels de l’électroménager ou encore des loisirs. Cette évolution concerne notre économie toute entière : nous sommes entrés dans « l’ère du chien » où les délais de développement et de vie d’un produit doivent être divisés approximativement par sept par rapport à ceux pratiqués il y a une quarantaine d’années. Le cycle de vie des produits continue à décroître. Ce phénomène est particulièrement visible dans l’industrie automobile où l’on doit aujourd’hui renouveler un modèle tous les 3 ans alors que les 2CV ou 4L profitèrent d’une belle carrière de… 25 ans ! Impossible désormais de compter sur de tels produits, la pression consommatrice est telle qu’il faut surprendre tous les jours, se renouveler constamment. De cette réalité naît l’un des défis de l’innovation : comment suivre ce rythme accéléré quand il faut en parallèle répondre aux contraintes de temps, de coût, d’organisation ?
Optimiser les processus de l’innovation
Une des réponses à ce défi passe sans aucun doute par une optimisation des processus d’innovation, qui elle-même réclame pour être mise en place une connaissance approfondie de la logique de l’innovation. Des recherches théoriques, comme celles menées, par exemple, à l’Ecole des Mines de Paris, sous l’impulsion de Armand Hatchuel, permettent aujourd’hui de mieux appréhender tous ces phénomènes, et ainsi de dégager des stratégies pour aider les entreprises à relever le défi de l’innovation. Avant tout, Il ne faut négliger les résistances que peut encore aujourd’hui rencontrer l’aide à l’innovation. Jugeant l’innovation trop risquée ou trop coûteuse, on sous-estime souvent les coûts de la non-innovation. Une erreur qui a souvent pour origine l’idée que l’innovation doit surgir naturellement d’un bon fonctionnement de la R&D et du savoir-faire accumulé. Le sujet semble bien cerné et les compétences maîtrisées. Il suffirait pourtant de peu pour décupler la créativité d’une équipe, car on peut estimer que 95% des connaissances nécessaires à l’innovation sont effectivement déjà maîtrisées en interne. Malheureusement, ces connaissances ne sont ni des idées, ni des concepts et encore moins des produits. Au défi d’une organisation plus systématique de l’innovation s’ajoute celui de l’équilibre entre une nécessaire prudence et l’obligation, toute aussi essentielle, d’éviter de brider la recherche interne. Il semblerait donc qu’il faille également pouvoir proposer des outils qui permettent d’évaluer rapidement l’intérêt d’un nouveau produit, afin de réduire les coût de développement, et de concentrer toute la créativité d’une entreprise sur les innovations qui sauront trouver un marché…
Une véritable collaboration entre marketing et R&D
Si l’on observe l’évolution, ces dernières années, des influences respectives des équipes de R&D et des équipes de marketing sur la définition des produits, on peut constater une prédominance toujours plus affirmée de ces dernières. Pendant longtemps, la R&D développait des produits que les équipes marketing devaient vendre dans un marché qui n’était pas forcément prêt. On a pu parler de "market push" pour qualifier cette période. Désormais, l’époque est plutôt au "market pull" : les équipes marketing définissent les besoins existant sur le marché, à charge pour l’équipe de recherche et développement de répondre à cette demande. Les limites des deux approches paraissent évidentes. Il convient donc, plus que jamais, de créer les conditions d’un véritable travail commun. Voilà le troisième défi de l’innovation que rencontre aujourd’hui l’entreprise ! Comment relever ces défis ?
Les offres d’aide à l’innovation
Les enjeux de l’innovation ont conduit de nombreux cabinets de conseil à inclure dans leur offre des produits liés à cette problématique. Leur objectif est de bâtir, au sein de l’entreprise, des structures favorables à l’innovation, en rapprochant, par exemple, les services marketing et R&D. On peut se demander si cette offre est réellement adaptée. S’il est acquis qu’on ne peut pas développer de produits inventifs sans une organisation efficace, il serait présomptueux de croire cet effort suffisant ! Et il peut paraître dangereux de restructurer en profondeur une organisation sans garantie d’efficacité–Ce constat conduit souvent l’entreprise à solliciter, dans le cadre d’un projet d’innovation, l’appui un conseiller technologique, lui permettant encore d’élargir encore ses connaissances. Mais cet apport laisse inexploitée une bonne partie des connaissances internes. L’expérience montre d’ailleurs que si ces services sont efficaces pour compléter des compétences non maîtrisées en interne, lorsque le profil technologique d’un produit est déjà déterminé, ils ne sont guère probants pour la définition même de produits à fort caractère innovant. Les outils ou méthodologies tels que l’analyse fonctionnelle, ou, par exemple, la méthode TRIZ (1), constituent un apport plus original. Ils séduisent de plus en plus d’entreprises qui veulent, peut-être, y voir les débuts de l’intelligence artificielle, la "machine pensante". Mais ces méthodes nécessitent un long apprentissage et des heures d’activités, pour un résultat incertain. Peuvent-elles réellement permettre d’aller beaucoup plus loin qu’améliorer des systèmes déjà existants ? Malgré les attentes que ces outils peuvent susciter, le succès actuel de ces technologies paraît limité : on n’a pas inventé l’électricité en voulant améliorer la bougie, dit-on avec bon sens.
Manque de rationalité ?
L’innovation semble rester un domaine encore peu rationalisé, l’accent étant mis sur la dimension subjective et humaine. Ainsi, les aspects affectifs et individuels de la créativité, très sollicités lors du processus de conception, peuvent eux aussi être développés et entraînés. De nombreux professionnels proposent des formations, des séminaires allant dans ce sens. C’est l’émergence du coachin g, s’inspirant du monde sportif, pour lever les freins psychologiques à l’innovation, accroître la créativité grâce à des séances de travail psychologique. Si ces activités sont sans doute, dans la plupart des cas, menées avec sérieux, on peut se poser la question de leur efficacité et se demander si elles ne traduisent pas surtout, de la part des entreprises concernées, une crainte d’aller de l’avant et d’engager les efforts nécessaires pour accroître leur faculté d’innovation…
Une théorie alternative ?
Lors d’une collaboration avec Vincent Chapel (2) j’ai pu d’expérimenter une théorie alternative aux approches mentionnées ci-dessus, la « théorie unifiée de la conception », d’Armand Hatchuel et Benoît Weil (3), découverte à l’Ecole des Mines. J’ai alors pu mesurer tout l’intérêt que présentait cette théorie. Au fil des travaux réalisés, j’ai perçu et compris que ce travail pouvait être la source de la définition de nouvelles méthodologies. C’est ainsi qu’est née l’idée de créer i-nova et de concevoir une méthode et une approche logicielle (incluse dans l’ensemble plus vaste des systèmes de gestion des connaissances de l’entreprise), travail aujourd’hui en voie d’achèvement avec le soutien de l’ANVAR et en partenariat avec EDF. S’il est, bien évidemment, impossible de résumer la théorie unifiée de la conception en quelques mots, on peut toutefois en rappeler quelques lignes forces. Cette théorie postule ainsi que la conception n’est pas un processus intelligible de résolution de problème mais de "génération de problème". Par ailleurs, elle établit un lien formel entre théories de la construction des savoirs et les théories de conception collectives. Ces hypothèses conduisent à proposer un modèle qui distingue la génération de concept et les connaissances en attirant l’attention sur les liens entre l’un à l’autre (des concepts au savoir et réciproquement). Il faut ainsi démythifier l’innovation, démontrer que celle-ci est surtout un mode de pensée et qu’une méthodologie systématique permet de la faciliter et renouveler. Le processus innovant est un travail d’équipe et la difficulté numéro un est la communication entre ses acteurs. Une bonne logique de conception permet à tous de comprendre les travaux en cours : la contribution de chacun s’en trouve décuplée. L’idée maîtresse de l’offre méthodologique et logicielle que l’on peut développer en partant de ses travaux, repose sur la le développement d’outils qui facilitent le travail quotidien, systématise et décuple la créativité collective d’entreprises en phase d’innovation, sans remettre en cause les organisations et méthodes de travail existantes. Après la systématisation de la distribution (Logistique Assistée par Ordinateur), de la production (Production Assistée par Ordinateur) et de la conception (Conception Assistée par Ordinateur), on s’achemine ainsi vers une systématisation de l’innovation en apportant des outils de gestion de l’innovation (Innovation Assistée par Ordinateur).
Cet article, conçu à partir d’un texte paru dans la "Revue des Ingénieurs" (Ecole des Mines de Paris), dans le numéro de janvier/février 2001, est publié dans La Cible avec l’aimable autorisation de cette revue.
Notes :
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Acronyme russe pour la Théorie de la Conception Innovante
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(2)
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Docteur de l’Ecole des Mines, fondateur de la société Avanti
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(3)
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"Pour une théorie unifiée de la conception", A. Hatchuel, B. Weil, mars 1999
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